Frêle

Malus est un arbre adolescent, au tronc frêle et aux branches ridiculement tendues vers le ciel. Il est grand, mais il ne l'assume pas. Il se tient là, nu, dans le froid de l'hiver, comme un jeune imbécile qui attend on ne sait quoi, le baladeur à fond sur les oreilles et le regard idiot. Malus attend son heure, il attend les premiers rayons de soleil printaniers pour cacher sa silhouette dégingandée derrière quelques feuilles bien vertes. Un buisson lui chatouille les racines et le vent le secoue un peu. Il se dit qu'un jour, il sera grand et fort, et qu'aucune tempête ne le fera trembler. Il sent les oiseaux qui sautillent sur sa tête, le chat qui, de temps en temps, vient lui lacèrer les jambes...quelle sale bête. Malus produit des fruits, de petites pommes, pas comestibles. Elles tombent à ses pieds et pourrissent, dégageant une forte odeur de fermentation. Les vers s'en régalent, et Malus se dit que ça, au moins, ça apporte quelque chose de bon. Il a été placé là par des humains qui voulaient cacher la maison des voisins d'en face, mais il faudra encore des années avant qu'il accomplisse sa mission. Contrairement aux humains, se dit-il, il est rare que les arbres soient embauchés en CDD, ou licenciés. Même s'il ne fait pas le job, on le laisse là. Il se demande si ce n'est pas pire. Non loin de lui, il y a des clématites, toujours magnifiques quand revient le soleil. Les humains les regardent, les touchent, les palissent avec amour. Lui, tout le monde s'en fout. S'il crevait, ce serait même une occasion en or pour le virer de là et le remplacer par un arbre plus adapté. Malus ne recherche pourtant pas l'amour des humains : ils ne comprennent pas les végétaux. Ils ont décidé que, parce qu'ils ne criaient pas, les arbres étaient vides. Si seulement Malus pouvait crier...mais il n'y a rien à faire, juste s'étirer le plus possible, grossir, construire l'écorce, les bourgeons, les racines...et vivre au mieux cette condition à laquelle il ne peut échapper : malus d'ornement qui n'orne pas grand chose.