Industries

Bureau de destruction des industries, 8h46. Turmo Lertus égrène sur sa liste les noms des entreprises à détruire ce mois-ci et trace une croix à côté des opérations prioritaires. Il faut en finir avec les derniers bâtiments Cerclefour, envoyer le directeur de Tonsanto dans la ville souterraine, et brûler les effets personnels des cadres de la ville de Tourlieu. De nombreux agents ont été recrutés uniquement pour l'opération Cerclefour, dans laquelle Martin joue gros : promu récemment chef destructeur, après des mois misérables au service du dynamitage, il s'attaque à l'un des ennemis les plus redoutés. Il a prévu d'assister à une des explosions cet après-midi, avec tout le gratin du ministère du Rien. Turmo a toujours adoré ce spectacle, le compte-à-rebours du maire, la tension et le frémissement du public, la déflagration libératrice, le silence anxieux, puis, enfin, les applaudissements. La poussière noire à travers le masque de protection, la fumée qui s'envole et révèle progressivement un grand terrain vide, propre, net. C'est une mission formidable de nettoyage du monde, la tabula rasa portée à son apothéose. Lorsque Turmo rentre chez lui à pied, il se réjouit à chaque terrain vague qu'il croise, à chaque maison inhabitée. On ne construira rien à la place. Voici venue la véritable Fin. La reproduction est formellement interdite et tous les enfants sont stérilisés dès le plus jeune âge. Les ressources s'épuisent peu à peu, et il est formellement interdit de chercher à les renouveler. Turmo est un des derniers êtres humains, et il en est fier, parce qu'il a compris. C'est la grande Vengeance de la nature, le triomphe de l'absence, le retour au néant. C'est l'ultime et suprême entreprise qui consiste à les anéantir toutes.