Bouquets

Le ciel était d'un gris pâle, doux comme une caresse et la bruine recouvrait les aspérités des pierres d'un voile vaporeux. A cette heure là, il n'y avait jamais personne, seulement quelques cris d'oiseaux et le souffle du vent sur la lande déserte. La bruyère fleurissait en bouquets un peu partout sur cette terre hostile, l'air avait un goût de sel. Personne pour le sentir, personne pour en être le témoin. C'était un bout de monde abandonné où venaient errer parfois quelques marignaux qui se croyaient abandonnés aussi et succombaient à des élans de romantisme. Mais il suffisait d'un homme pour arracher au paysage sa calme pesanteur, il suffisait d'une semelle un peu trop affirmée sur un caillou trop dur, et déjà, l'endroit n'était plus le même. Il devenait alors un vaste théâtre, un écran blanc, sur lequel le visiteur projetait sans plus de réflexion ses démons intérieurs. La brume alors devenait menaçante, elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour se débarrasser de l'intru. Ce qui était intru, bien sûr, ce n'était pas le corps, la lande en abritait des miliers. Le problème, c'était ce sujet, qui se posait en rival ou en partenaire du paysage, mais qui ne pouvait en tout cas jamais se contenter de se laisser engloutir et dévorer sans protestation. Souvent, il se plaisait à mutiler l'endroit de quelques brins de bruyère, pour les ramener crever sur la table du salon, dans une pièce chauffée à 21 degrés.